Choses que nous faisons sans raison: L’utilisation de Liquides Épaissis dans le traitement de Patients Adultes Hospitalisés atteints de Dysphagie

Inspirée de la campagne Choisir judicieusement de la Fondation ABIM, la série « Choses que nous faisons sans raison” (TWDFNR) passe en revue des pratiques devenues courantes dans les soins hospitaliers mais qui peuvent apporter peu de valeur à nos patients. Les pratiques examinées dans la série TWDFNR ne représentent pas des conclusions « en noir et blanc » ou des normes de pratique clinique, mais sont conçues comme un point de départ pour la recherche et des discussions actives entre les hospitaliers et les patients. Nous vous invitons à participer à cette discussion. https://www.choosingwisely.org/

SCÉNARIO CLINIQUE

Un homme de 74 ans atteint de démence d’Alzheimer et de dysphagie chronique avec des antécédents de pneumonie par aspiration présente une infection des voies urinaires, une hypovolémie et hypernatrémie. Il prend des liquides épaissis à la maison depuis plusieurs mois. Comme son état général s’améliore avec les liquides intraveineux et les antibiotiques, il demande à boire des liquides minces.

CONTEXTE

La dysphagie est définie comme une difficulté ou une gêne à s’alimenter ou à avaler1 et est un problème clinique courant auquel sont confrontés les hospitaliers. On estime que la prévalence des difficultés à avaler touche 13 millions de personnes aux États-Unis, ce qui devrait augmenter avec le vieillissement de la population.2 La dysphagie entraîne souvent une consommation insuffisante de liquide, entraînant des complications telles que la déshydratation.1 Cependant, la complication la plus redoutée est la pneumonie par aspiration. L’aspiration, l’entrée de matériel provenant de l’oropharynx ou du tractus gastro-intestinal dans le larynx et les poumons, peut être problématique car elle est souvent colonisée par des agents pathogènes.3-5 Elle représente 5 % à 15 % des quatre millions et demi de cas de pneumonie communautaire par an, avec un taux de mortalité pouvant atteindre 21 %.5,6

La dysphagie est un diagnostic clinique, et des outils d’évaluation sont disponibles pour aider à établir le mécanisme et la gravité.3 Par exemple, l’évaluation de l’hirondelle au chevet du patient utilise l’administration d’eau par le clinicien au patient pour évaluer la présence et la gravité de la dysphagie.1,7 L’évaluation est effectuée en faisant asseoir le patient debout à 90 ° et en administrant soit des gorgées simples de ≤20 ml d’eau, soit des gorgées consécutives avec un apport allant jusqu’à 100 ml d’eau, soit des volumes d’eau augmentant progressivement. Le clinicien observe ensuite les signes cliniques d’aspiration tels que l’étouffement ou la toux. Cette évaluation est peu coûteuse, non invasive et rapide, avec une sensibilité pouvant atteindre 91 %, si elle est réalisée en utilisant la technique des SIP consécutives.7 Un examen vidéo fluoroscopique de la déglutition (EEVV) comprend l’administration de diverses consistances de baryum qui peuvent être utiles pour déterminer le mécanisme précis de la dysphagie, en particulier au stade pharyngé de la déglutition.3,8 La VFSE est souvent considérée comme la norme pour l’évaluation de la dysphagie, bien qu’elle soit coûteuse, longue, expose le patient aux radiations et que sa traduction en capacité fonctionnelle de manger et de boire en toute sécurité ne soit pas prouvée.8

POURQUOI VOUS POURRIEZ PENSER QUE LES LIQUIDES ÉPAISSIS SONT UTILES POUR LES PATIENTS ADULTES ATTEINTS DE DYSPHAGIE

La modification de l’apport de liquides par voie orale à l’aide de liquides épaissis a été la pierre angulaire de la pratique clinique dans le traitement des adultes atteints de dysphagie.4,9-11 L’eau, un liquide mince de faible viscosité, s’écoule rapidement de la bouche dans l’oropharynx. La vitesse rapide peut être trop rapide pour que les muscles pharyngés du patient compensent, permettant ainsi l’aspiration.10 L’épaississement des liquides est destiné à ralentir l’écoulement des liquides afin de laisser plus de temps pour la fermeture des voies respiratoires, ce qui pourrait potentiellement réduire le risque d’aspiration.10,11

Les preuves les plus solides de liquides épaissis proviennent d’une étude basée sur des résultats de vidéofluoroscopie. Clave et coll. patients étudiés avec un accident vasculaire cérébral ou une lésion cérébrale traumatique, des patients atteints de maladies neurodégénératives et des volontaires sains utilisant la vidéofluoroscopie en avalant du liquide, du nectar et des bolus de pudding.11 Des 46 patients ayant subi un accident vasculaire cérébral ou une lésion cérébrale traumatique, 21,6% avaient une aspiration de liquide dans les voies respiratoires, mais cette incidence a été réduite à 10,5% et 5,3% lorsque le régime alimentaire a été modifié en nectar et en pudding, respectivement. Sur les 46 patients atteints de maladies neurodégénératives, 16,2% avaient une aspiration de liquide dans les voies respiratoires, qui a été réduite à 8,3% et 2,9% lorsqu’on leur a administré des bolus de nectar et de pudding, respectivement. Ainsi, les liquides épaissis ont considérablement amélioré les résultats de la vidéofluoroscopie, entraînant une diminution présumée du taux de complications respiratoires. D’autres auteurs sont parvenus à des conclusions similaires dans différents contextes et populations de patients sélectionnées.9 Ces résultats, bien que basés principalement sur des résultats d’imagerie et dans des populations restreintes seulement, ont été largement extrapolés à la pratique clinique de routine.1,9,12

POURQUOI LES LIQUIDES ÉPAISSIS NE SONT PAS UTILES POUR LES PATIENTS ADULTES ATTEINTS DE DYSPHAGIE

Les preuves contre les liquides épaissis remontent à 1994, lorsqu’un essai d’efficacité comparatif sur des patients victimes d’AVC a révélé que les instructions familiales sur les techniques de déglutition compensatoire appropriées sans utilisation de liquides épaissis ne présentaient aucun risque accru de pneumonie, de déshydratation, de malnutrition ou de décès par rapport aux liquides épaissis.13 Des preuves récentes ont établi le risque de dommages avec des liquides épaissis. Plus précisément, les patients affectés à des liquides épaissis dans une étude présentaient un taux de déshydratation (6% -2%), de fièvre (4% -2%) et d’infections des voies urinaires (6% -3%) plus élevé que ceux affectés à des liquides minces.14 Ceci est présumé être lié à un apport hydrique et nutritionnel médiocre résultant des liquides épaissis.1,9,14

La qualité de vie perçue des patients est également plus faible lorsqu’ils sont sous liquides épaissis. Les études ont généralement mesuré cela en utilisant la qualité de vie validée à la déglutition (SWAL-QOL), qui est un outil de résultats sur la qualité de vie et la qualité des soins conçu pour les patients atteints de dysphagie oropharyngée.1,15 Une étude a révélé que ceux qui ont commencé avec des liquides épaissis avaient une réduction significative de leur score SWAL-QOL de près de 14 points (P<.05).15 Peut-être en raison de cette qualité de vie réduite, on a rapporté que l’observance des patients était aussi faible que 35 % à cinq jours.16

Plusieurs revues systématiques soutiennent l’accès à l’eau libre plutôt que de limiter les patients à des liquides épaissis en cas de dysphagie. Gillman et coll., Kaneoka et coll., et Loeb et coll. n’a trouvé aucune différence statistique dans le risque de développer une pneumonie par aspiration chez les patients ayant accès à de l’eau libre par rapport à ceux ayant des liquides épaissis.1,9,12,15 Dans la méta-analyse de Gillman et al. sur 206 patients, il n’y a pas eu d’augmentation significative des chances d’avoir des complications pulmonaires lorsqu’ils permettaient aux patients d’avoir accès à de l’eau libre par rapport à des liquides épaissis (rapport de cotes de 1,51, intervalle de confiance à 95% de 0,2 à 100,03).1 La méta-analyse de Kaneoka et al. il n’a pas montré de différence significative dans les chances de développer une pneumonie chez les patients ayant accès à de l’eau libre par rapport aux liquides épaissis dans un échantillon de 135 patients (rapport de cotes de 0,82, intervalle de confiance à 95% de 0,05 à 13,42).12 Cependant, les revues systématiques de Gillman et coll. et Kaneoka et coll. inclus des études avec des critères d’exclusion stricts, y compris des troubles de la cognition et des limitations de mobilité, ce qui limite leur applicabilité.1,12

DANS QUELLES CIRCONSTANCES DES LIQUIDES ÉPAISSIS POURRAIENT-ILS ÊTRE UTILES

Chez les patients qui ont un étouffement extrême avec la consommation d’eau, restreindre l’accès à l’eau buccale peut être raisonnable pour éviter le stress physique lié à la toux. De même, dans les situations de fin de vie, si la toux est si gênante pour les patients ou les familles qu’elle est incompatible avec les objectifs de soins, des liquides épaissis pour des mesures de confort peuvent être raisonnables. Enfin, Foley et coll. a constaté que la combinaison de liquides épaissis avec des régimes alimentaires modifiés par la texture et de séances d’entraînement intensives avec des orthophonistes axés sur les techniques de déglutition a réduit le risque de pneumonie par aspiration au cours des sept premiers jours suivant un AVC aigu. Étant donné que la réduction du risque n’a pas persisté après sept jours, une modification prolongée n’est probablement pas utile.4

CE QUE NOUS DEVRIONS FAIRE À LA PLACE

L’accès à l’eau gratuite est important pour l’hydratation, la qualité de vie et la prévention du délire. Une approche collaborative avec les infirmières, les orthophonistes et les soignants devrait être utilisée pour se concentrer sur les stratégies de prévention de la pneumonie par aspiration via le positionnement, l’hygiène buccale et l’éducation des patients et de la famille. L’ajustement postural avec la posture du menton vers le bas modifie le flux du bolus pendant la phase pharyngée de l’hirondelle.14,17 Cette technique a montré une sécurité supérieure lorsqu’elle est directement comparée à des liquides épaissis sans aucune différence dans les taux de pneumonie par aspiration.14 En outre, une hygiène buccale pour les patients qui ne peuvent pas effectuer eux-mêmes de soins bucco-dentaires devrait être mise en œuvre pour réduire la quantité de bactéries pathogènes dans les sécrétions.1,15 Enfin, il est primordial de s’assurer que les patients et les familles comprennent les risques et les avantages de l’accès à l’eau gratuite.

L’alimentation par sonde (par exemple, les sondes nasogastriques et gastriques) permet une livraison fiable de la nutrition entérale et des médicaments. L’alimentation par sonde ne diminue pas les événements d’aspiration par rapport aux régimes oraux. De plus, le risque de développer une pneumonie par aspiration semble être similaire chez les sondes d’alimentation gastrostomie, nasogastrique et postpylorique.5 Cette approche peut cependant être préférable lorsque la dysphagie est le résultat d’une anomalie structurelle telle qu’un déficit d’AVC, des modifications néoplasiques ou une altération chirurgicale du larynx.

Les protocoles d’eau libre utilisent une approche interdisciplinaire pour améliorer l’accès à l’eau en toute sécurité pour les patients atteints de dysphagie. Les protocoles d’eau libre impliquent le dépistage des populations à haut risque telles que les personnes âgées, les patients confus ou les patients victimes d’un AVC avec une évaluation de l’hirondelle au chevet du patient. Ceux qui ont de la difficulté à suivre les instructions, qui ne peuvent limiter leur consommation à des gorgées de taille gérable ou qui ont une toux excessive sont limités à une consommation d’eau supervisée avec accès à l’eau uniquement entre les repas (30 minutes après un repas) et avec une hygiène buccale agressive. Des techniques de posture avec la position du menton vers le bas peuvent être utilisées. Les patients et leurs familles doivent être informés de la mise en œuvre et de la justification du protocole.1,9,12

Dans l’ensemble, les protocoles d’eau libre ont démontré une amélioration de la qualité de vie, aucun changement dans les événements indésirables et une meilleure prise d’eau. Les scores SWAL-QV ont été significativement améliorés de près de trois points (P<.05).15 Il n’y avait pas de différence significative dans les probabilités de développer une pneumonie par aspiration lorsque l’on compare les liquides épaissis à ceux ayant accès à de l’eau libre.1,9,12 De plus, une étude de Loeb et al. même constaté que ceux affectés à un groupe liquide épaissi étaient plus susceptibles de développer une pneumonie par aspiration, bien que cette différence ne soit pas statistiquement significative.9 Enfin, ceux qui avaient accès à de l’eau libre avaient des quantités d’apport hydrique plus élevées en moyenne de 180 ml.1

RECOMMANDATIONS

  • Permettre aux patients atteints de dysphagie d’avoir accès à de l’eau gratuite
  • Initier des protocoles pour assurer une hygiène buccale adéquate, une éducation du patient et de la famille et une optimisation des stratégies de positionnement

CONCLUSIONS

Notre patient est évalué avec une évaluation de l’hirondelle au chevet du patient et a des problèmes de toux mineure. Malgré cela, il demande à plusieurs reprises l’accès à de l’eau gratuite, et ces demandes sont bouleversantes pour sa famille. Les risques d’aspiration potentielle lui sont expliqués et lui et sa famille expriment leur compréhension. On lui donne un accès supervisé à l’eau entre les repas et on l’encourage à s’asseoir droit et à se brosser les dents avant de boire. Il continue de s’améliorer tout au long de l’hospitalisation et au moment de la sortie, son taux de sodium est dans les limites normales et il est ravi de boire de l’eau régulière.

Les patients atteints de dysphagie sont souvent limités à des liquides épaissis. Cette approche modifie le flux de liquide dans tout l’oropharynx et des preuves cliniques minimales soutiennent cette pratique comme méthode pour réduire la pneumonie par aspiration. Compte tenu des dommages potentiels et de la qualité de vie réduite, nous déconseillons les liquides épaissis dans ce cadre. Pris dans leur ensemble, les données disponibles suggèrent que les protocoles visant à faciliter l’accès à l’eau en toute sécurité1, l’information et l’éducation des familles, 13 et les techniques de positionnement14 sont sûrs, efficaces et préférables aux liquides épaissis.1,12

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Divulgations

Les auteurs n’ont rien à divulguer.

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