Quelle est la différence entre les coccinelles noires avec des taches rouges et les coccinelles rouges avec des taches noires? Les enfants – comme les adultes – se sont une fois posé cette question. Les scientifiques aussi. Depuis les années 1920, il y a eu un nombre croissant de travaux sur la présence commune de motifs colorés distincts chez les insectes au sein d’une même espèce. Des figures de proue de la biologie évolutive, telles que le généticien Theodosius Dobzhansky ou l’écologiste Michael Majerus, s’y sont intéressées.
L’un des cas les plus célèbres de polymorphisme de la pigmentation noire a été décrit au 19ème siècle chez un papillon, la teigne poivrée, au corps entier noirci. On l’a appelé mélanisme industriel car la mutation qui a rendu l’insecte noir était concomitante avec la révolution industrielle en Angleterre. Un papillon couleur suie a de meilleures chances de survivre sur un bouleau pollué par la suie.
Cependant, chez la plupart des espèces d’insectes touchées par le mélanisme, l’assombrissement n’apparaît que sur certaines parties du corps de l’insecte, formant des motifs noirs discontinus et complexes. C’est le cas de la coccinelle arlequin, Harmonia axyridis, également connue sous le nom de coccinelle asiatique. Cet insecte est un champion des motifs mélaniques polymorphes avec plus de 200 formes de motifs colorés décrites dans les populations naturelles du monde entier. Ces formes correspondent essentiellement à des variations de zones noires sur fond rouge sur les élytres, les ailes antérieures durcies qui recouvrent les ailes postérieures.
Le gène colorant identifié
Les mécanismes génétiques par lesquels ces motifs mélaniques sont créés et maintenus dans les populations de coccinelles restent largement inconnus. On sait depuis les années 1950 que les différentes formes de couleur résultent de variations génétiques localisées dans une seule région du génome, qui n’avaient pas été caractérisées auparavant. Nos équipes de recherche unissent leurs forces, mettant en commun leur expertise en génomique des populations et en biologie du développement, pour répondre à ce problème. Et nos efforts ont porté leurs fruits : nous avons identifié l’origine génomique des différents motifs de coloration chez les coccinelles arlequines. En particulier, nous avons identifié le gène qui code toutes les instructions nécessaires pour dessiner les différents motifs qui décorent les ailes antérieures des coccinelles arlequines. Ces résultats ont été publiés en août 2018 dans la revue Current Biology.
Tout d’abord, nous avons séquencé le génome complet de la coccinelle arlequin. Ensuite, pour identifier la région du génome associée à la variation de couleur, nous avons comparé les séquences génomiques de nombreuses coccinelles arlequines de différentes formes de couleur provenant de plusieurs populations naturelles à travers le monde. Cette analyse a mis en évidence une région spécifique du génome, qui comprenait deux gènes voisins. L’inactivation successive de chacun de ces deux gènes candidats a identifié le gène pannier comme celui responsable de la formation de motifs noirs sur les élytres.
Le gène pannier a été découvert pour la première fois chez la mouche des fruits dans les années 1980. En général, les noms de gènes font référence, souvent avec une pointe d’humour, aux malformations physiques visibles lorsque ce gène est muté. Pour le sacoche génétique, c’est la forme de l’embryon mutant semblable à une sacoche qui a inspiré son nom aux généticiens qui l’ont découvert. Étonnamment, chez aucun autre insecte, le gène pannier ne semble lié à la production de motifs colorés. Par la suite, en révélant la localisation de la protéine produite par ce gène, nous avons montré que pannier est activé (ou exprimé) lors de la formation des élytres.
Plus précisément, le gène pannier est actif dans différentes populations d’élytres qui préfigurent exactement l’endroit où la pigmentation noire apparaîtra chez l’adulte. Pannier active alors d’autres gènes qui assurent collectivement la production de pigment noir par ces cellules et donc la formation des taches noires (chez les coccinelles » rouges”) ou du fond noir (chez les coccinelles » noires”). L’expression du gène pannier est elle-même contrôlée par des séquences d’ADN régulatrices situées autour du gène. Ce sont ces séquences, très différentes dans leur composition moléculaire, qui définissent des variantes du gène pannier associées aux différentes formes de couleur. Les fréquences de ces variantes fluctuent d’une population à l’autre, créant des compositions très colorées au sein des populations naturelles de la coccinelle arlequin à travers le monde.
En résumé, les différents motifs de couleur chez la coccinelle arlequin trouvent leur origine génétique dans les variations de l’activation spatiale d’un seul gène qui orchestre l’établissement de différents motifs de mélanisation des élytres. D’une manière générale, ces résultats illustrent comment les variations d’un seul gène (génotypes) peuvent, dans certains cas, générer une diversité impressionnante de phénotypes.
Au-delà des couleurs
On a longtemps soupçonné que la coloration d’une coccinelle, et donc les variations du gène sacoche, affectent d’autres traits impliqués dans la survie et la reproduction de cet insecte. Ainsi, la répartition des différentes formes de coloration au sein des populations pourrait refléter une réponse adaptative aux contraintes locales (par exemple, les contraintes climatiques). Dans ce contexte, une remarque intéressante peut être faite, liant la couleur au caractère envahissant de la coccinelle arlequin, qui depuis son aire d’origine en Asie, a récemment colonisé les quatre continents (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe et Afrique).
Étonnamment, la diversité des formes de couleur de H. axyridis est limitée sur les continents envahis. Dans la plupart des zones colonisées (sauf en Europe), seule la forme non mélanique (élytres rouges avec environ 20 taches noires) est présente. À ce jour, il n’a pas été possible de déterminer si la quasi-fixation d’une forme de couleur unique dans la zone envahie est due à des contingences historiques ou démographiques (simples effets aléatoires), ou à un processus de sélection naturelle favorisant la forme non mélanique lors de l’invasion. Nos découvertes sur les régions du génome responsables des variations de couleur peuvent nous permettre de trancher entre ces deux hypothèses.